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Comprendre le procédé Haber-Bosch et son rôle dans la sécurité alimentaire mondiale

G. Demarquest , I. aouriri • Jul 07, 2023

L’atmosphère terrestre est composée à 80% d'azote. C’est un élément essentiel pour la croissance des plantes mais elles ne peuvent l’utiliser directement sous sa forme gazeuse. Ainsi, réussir à fixer l’azote gazeux a été l’une des grands enjeux scientifiques du XIXe siècle. Le professeur Haber réussit l’exploit en 1909 en synthétisant de l’ammoniac, un intermédiaire industriel clé pour les engrais azotés. Son procédé est ensuite industrialisé en 1913 par Carl Bosch : c'est la naissance du procédé Haber-Bosch. Cette innovation technologique est sans doute la plus importante du XXe siècle puisqu’elle a permis de soutenir les besoins alimentaires croissants du XXe et XXIe siècle. En 1918, elle a valu à son créateur le Prix Nobel de chimie, une distinction particulièrement controversée à l'époque. En effet, Haber a également tenu un rôle dans la synthèse des gaz de combat utilisés pendant la Première Guerre mondiale et ses travaux ont été repris pour la fabrication du Zyklon B utilisé dans les camps d’extermination nazis. Aujourd'hui, environ 82 % de l’ammoniac produit dans le monde est utilisé pour la fabrication d’engrais azotés.

   Comprendre la science derrière la production d'ammoniac

La réaction semble simple : synthétiser de l’ammoniac (NH3) à partir de dihydrogène (H2) et de diazote gazeux atmosphérique (N2) grâce à un catalyseur qui permet d'accélérer la réaction, N2 + 3H2 ↔ 2NH3. Mais, dans les faits, cette réaction se décompose en plusieurs étapes : d'abord production de dihydrogène et de diazote, puis purification des gaz et synthèse de l’ammoniac, pour finir par l'extraction et le recyclage des produits.


La première étape consiste à récupérer les éléments de l’équation, c'est-à-dire N2 et H2. L’azote est le composant majeur de l’air, il n’est donc pas difficile à obtenir. Pour l’hydrogène, en revanche, quelques manipulations à partir de gaz naturel sont nécessaires. D’abord, du méthane (CH4) - le constituant principal du gaz naturel - est mis en contact avec de la vapeur d’eau (H2O) pour former du dihydrogène (H2) et du monoxyde de carbone (CO). CH4 + H2O ⇌ CO + 3H2. Pour transformer la totalité du méthane plusieurs cycles sont nécessaires. De plus, davantage d’hydrogène peut être obtenu en mettant en contact le reste de la vapeur d’eau avec le monoxyde de carbone : du dioxyde de carbone est alors dégagé. CO + H2O ⇌ CO2 + H2. L'ensemble de ces étapes se réalisent à haute pression : entre 250 et 350 bars (2,5-3,5 MPa). Après cette première étape, le méthane issu de gaz naturel et la vapeur d’eau ont donc été transformés en dioxyde de carbone et dihydrogène.

Les gaz (N2 et H2) sont ensuite purifiés afin de maintenir la durée de vie du catalyseur, potentiellement endommageable par la présence de composés soufrés, d'eau, d'oxygène et d'oxydes de carbone. Par conséquent, pour éviter qu'il ne contamine les catalyseurs, le monoxyde de carbone restant est passé dans un méthanateur pour le transformer à nouveau en méthane. CO + 3H2 ⇌ CH4 + H2O. En parallèle, du charbon actif est utilisé pour l'absorption des composés soufrés organiques. De son côté, le dioxyde de carbone est éliminé sous pression en se servant d'eau, d'éthanolamine ou d'une solution chaude de carbonate de potassium. Les dernières traces d'impuretés sont éliminées si besoin par condensation, à la température de l'azote liquide et à la pression atmosphérique.

L'étape suivante correspond à la synthèse de l’ammoniac. Le diazote et le dihydrogène sont mis en contact en présence d'un catalyseur à base de fer. N2 +3H2 ⇌ 2NH3 + H. Mais, dans le même temps, il faut maintenir la température entre 300 et 550°C ainsi que la pression élevée (entre 150 et 250 bars). Cette étape doit être renouvelée plusieurs fois pour que la transformation soit efficace.


Enfin, il est nécessaire de régulièrement retirer l’ammoniac produit pendant la réaction pour éviter qu'il ne s'accumule et empêche le reste des gaz de se transformer. Pour cela, les gaz chauds sont refroidis dans un condenseur. L'ammoniac est alors liquéfié, séparé et dirigé vers une cuve. L'hydrogène et l'azote qui n'ont pas réagi sont à nouveau ré-introduits dans le réacteur dans le but de les convertir en ammoniac.

Le procédé Haber-Bosch permet de fixer l’azote en grande quantité et à faibles coûts, c’est pourquoi il a une importance économique considérable. Actuellement, la grande majorité des engrais azotés sont fabriqués à l'aide de ce processus. Il est donc plus qu’indispensable pour nourrir le monde.

Des défis à relever pour l’avenir

Seulement, le procédé Haber-Bosch est très gourmand en combustibles fossiles. Et le procédé libère des millions de tonnes de CO2 dans l'atmosphère, ce qui représente 5 % des émissions annuelles mondiales de gaz à effet de serre (GES). De plus, les réactions chimiques requièrent des conditions extrêmes de température et de pression (450°C et 200 bars), ce qui représente 1 à 2% de la consommation mondiale d'énergie.

Les enjeux autour de la production d'ammoniac montrent le besoin urgent de développer des procédés alternatifs et plus durables. Les défis à relever sont de taille ! Non seulement au niveau de la durabilité, mais aussi de la souveraineté. En effet, le procédé est dépendant de la disponibilité en gaz naturel. Or, tous les pays ne peuvent pas en produire suffisamment pour assurer leurs propres besoins agricoles et alimentaires. Ils doivent donc compter sur l’importation, dont les principaux acteurs sont la Russie, la Chine et le Moyen-Orient. A eux-trois, ils représentent presque 40% des exportations mondiales d’engrais azotés, dont le reste du monde est entièrement dépendant. Mais, de nouvelles techniques émergent petit à petit, réduisant l’impact énergétique du procédé et la dépendance aux quelques pays exportateurs.



Références :

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Les agriculteurs sont de plus en plus nombreux à effectuer la conversion vers l’agriculture biologique. Le ministère de l’Agriculture dénombre 60 000 fermes engagées en bio en 2022, soit 14,2% des fermes françaises. Cela représente une surface totale de 2,88 millions d'hectares, faisant de la France la première surface bio en Europe. Cette même dynamique est observée dans toute l’Europe et suit l’intérêt croissant des consommateurs pour les produits biologiques et le respect de l'environnement. Ainsi, la Commission européenne a mis en place la stratégie "De la ferme à la fourchette", visant à atteindre 1/4 des terres agricoles cultivées en agriculture biologique pour 2030. Mais, entre les réglementations européennes, le cahier des charges français et les nombreuses évolutions des règlements, il peut être difficile de s’y retrouver. De nombreuses questions émergent, notamment sur la qualité et la composition des sols nécessaires pour passer au bio.
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Parmi les facteurs naturels qui déterminent la richesse d'un sol, la teneur en humus figure parmi les premiers de la liste. L’humus, qui constitue la couche supérieure du sol, se forme grâce à la décomposition de matière organique fraîche (d'origine végétale ou animale) en matière organique stable via un processus particulier appelé humification. Dès la préhistoire, les agriculteurs ont reconnu l'importance d'apporter régulièrement de la matière organique au sol. Cependant, il a fallu du temps pour comprendre pleinement son impact sur les sols et les cultures. Depuis, de nombreuses études ont contribué à approfondir notre compréhension de ce processus essentiel pour l'agriculture, l'humus représentant 80% du total de la matière organique dans un sol.
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Au beau milieu du réchauffement climatique, comment se profile l’avenir géopolitique et économique de la Russie et de l’Europe ? Perspectives sur la souveraineté alimentaire, sur les politiques adoptées ainsi que sur les alternatives pour un possible déclin de l’ultra-dépendance européenne au gaz russe, élément indispensable à la fabrication des engrais azotés.
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En matière de protection de la qualité des eaux, la lutte contre la pollution diffuse par les nitrates est un enjeu important. Avec la publication début 2023 du septième programme d’actions national “nitrates”, le raisonnement de la fertilisation azotée à l’échelle de l’exploitation agricole est, plus que jamais, un sujet d’actualité.
By N. Violeau, I. Aouriri 08 Mar, 2024
Le biochar, ce nouvel or noir pour le climat, témoigne des nombreux efforts déployés par le Costa Rica pour réduire l’impact environnemental de ses plantations d’ananas. Il pourrait bien permettre de relever les défis mondiaux liés à la production alimentaire et au changement climatique.
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Engrais azotés, gaz naturel, instabilité géopolitique, pénuries et volatilité des prix : la guerre en Ukraine nous a cruellement rappelé qu’en matière d’engrais, l’Europe peut difficilement échapper à la domination de la Russie.
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Dans les années 1960, les pays en développement ont adopté une politique de réforme agricole visant à remédier aux pénuries alimentaires. Connue sous le nom de révolution verte, cette initiative avait pour objectif d'améliorer les pratiques agricoles afin d'accroître la productivité. Une des mesures phares était fondée sur l'utilisation intensive d'engrais azotés de synthèse. En effet, l'avènement quelques années plus tôt du procédé Haber-Bosch - qui synthétise de l'ammoniac à partir d'azote atmosphérique et de gaz naturel - a permis une certaine indépendance de l'agriculture vis à vis des amendements organiques . Dès lors, les engrais minéraux sont devenus la principale source de fertilité, parfois même la seule, ce qui a considérablement contribué à l'augmentation des rendements. Cependant, ces engrais azotés de synthèse suscite l'inquiétude des agriculteurs comme les états, tant sur le plan environnemental que géopolitique. Le président de l’Organisation Mondiale des Agriculteurs, Theo De Jager, déclarait d’ailleurs en mai 2022 sur la question de la disponibilité des engrais que "nous sommes déjà au milieu d’une crise alimentaire dont il faut désormais évaluer l’ampleur et la gravité" . L’approvisionnement en engrais azotés joue donc un rôle majeur dans la sécurité alimentaire mondiale et implique des enjeux géopolitiques forts.
By G. Demarquest , I. aouriri 22 Sep, 2023
L'azote est présent dans la nature sous plusieurs formes : gazeuse, minérale et organique. Les sols fertiles contiennent beaucoup d'azote sous forme organique, plus qu'il n'en faut pour la nutrition des cultures. Cependant, cet azote n'est pas immédiatement disponible pour les plantes, il doit d'abord être transformé en azote minéral pour devenir un nutriment. C'est grâce à des processus biologiques que des micro-organismes transforment l’azote organique en azote minéral assimilable par les cultures. Ainsi, dans le sol l'azote subit de nombreuses transformations, passant d'une forme à une autre à mesure que les organismes l'utilisent.
By G. Demarquest , I. aouriri 21 Sep, 2023
De février à avril, en France, les agriculteurs épandent sur leurs parcelles des engrais azotés minéraux pour favoriser la croissance de leurs cultures. Sur les 2,2 millions de tonnes d’azote utilisées en France, seule la moitié sert véritablement aux plantes, tandis que l’autre moitié se perd dans l’environnement. Cette quantité non-assimilée témoigne de l'utilisation excessive d'engrais azotés et a montré ses impacts négatifs sur le sol, l'air et les écosystèmes aquatiques.
Ngenesis engrais azotés
By Idriss Aouriri 23 Aug, 2023
Aussi loin que nous remontons dans l’histoire de l’agriculture nous comprenons que le monde paysan a toujours parfaitement fait le lien entre l’apport de déjections animales dans les parcelles et l’amélioration des récoltes. Par la simple observation empirique, les premiers agriculteurs ont bien vu que la présence de déjections rendait l’herbe plus verte. Que ce soit le fumier, le lisier ou le guano, tous ces fertilisants traditionnellement utilisés sont constitués de matière organique transformée ou digérée par des animaux sauvages ou d’élevage. Mais c’est seulement en 1848 que le chimiste allemand Justus Von Liebig comprend le rôle prépondérant de l’azote dans l’alimentation des plantes, cet azote qui constitue 79% de l’atmosphère mais qui n’est assimilable par les plantes que sous forme minérale dans le sol. Et c’est bien la minéralisation des déjections animales et des résidus végétaux, qui fournit l’azote nécessaire à la croissance des plantes. C’est cette découverte du rôle prépondérant de l’azote dans le rendement des végétaux qui allait conduire, plusieurs décennies plus tard, à ce que beaucoup considèrent comme la plus grande innovation agroindustrielle du XXe siècle.
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