Les engrais azotés et les écosystèmes : des liens complexes et des conséquences durables
De février à avril, en France, les agriculteurs épandent sur leurs parcelles des engrais azotés minéraux pour favoriser la croissance de leurs cultures. Sur les 2,2 millions de tonnes d’azote utilisées en France, seule la moitié sert véritablement aux plantes, tandis que l’autre moitié se perd dans l’environnement. Cette quantité non-assimilée témoigne de l'utilisation excessive d'engrais azotés et a montré ses impacts négatifs sur le sol, l'air et les écosystèmes aquatiques.
Des sols appauvris qui exigent toujours plus d’engrais
Les engrais azotés de synthèse ont profondément bouleversé l'agriculture. Avant leur arrivée, les agriculteurs étaient aussi éleveurs. Ils avaient donc à disposition les fumiers et lisiers riches en azote directement sur leur exploitation pour amender et nourrir leurs cultures. Ils cultivaient également des légumineuses pour capter l'azote de l'air et fertiliser les sols. Aujourd'hui, les zones d’élevage et les zones de culture sont souvent séparées, comme c'est le cas des grandes plaines céréalières de la Marne en monoculture et les zones d'élevage en Bretagne. L'azote organique n'étant plus facilement disponible pour les grandes cultures, les agriculteurs lui préfèrent les engrais de synthèse concentrés. Leurs effets sur les rendements sont là, mais les effets néfastes sur la qualité des sols et la biodiversité sont établis lorsqu'ils sont utilisés en excès.

Parmi ces effets indésirables, il y a l’appauvrissent en matière organique des sols qui provoquent une augmentation de l'érosion et des risques de lessivage. Lorsque seul l’azote minéral est utilisé pour fertiliser les sols, et qu'il n'y a pas d'apport de matières organiques, la structure du sol change, et la quantité de carbone diminue progressivement. Les sols s'appauvrissent peu à peu en matière organique et en nutriments, la vie du sol s'atrophie et les plantes développent des carences. Afin de palier à cette carence, la surdose d'engrais est tentante pour l'exploitant agricole ce qui accélère le phénomène.
Le rôle des engrais dans la pollution atmosphérique
Les engrais azotés participent à la pollution atmosphérique pour plusieurs raisons. En amont c'est d'abord leur production qui rejette 2,6 milliards de tonnes équivalent CO2, soit environ 5 % des émissions annuelles mondiales de gaz à effet de serre (GES). En effet l'industrie qui produit ces engrais utilise un procédé qui implique l'utilisation de forte pressions et des températures très élevées, ce qui implique la consommation d'énormément d'énergie.
En aval, c'est lors de l’épandage d’engrais que l'impact environnemental se manifeste - plus particulièrement les engrais sous forme uréique et ammoniacale -, une partie s’échappe sous forme de GES ou d'ammoniac dans l’atmosphère, c’est ce qu’on appelle la volatilisation. L'ammoniac et le protoxyde d'azote sont les deux principaux gaz émis lors de la volatilisation. En ce sens, leurs niveaux d’émissions sont règlementés et plafonnés à l’échelle de la France et de l’Europe.
L’ammoniac n'est pas un gaz à effet de serre mais bien un polluant atmosphérique. Lors de l’épandage d’engrais, une partie de l'ammonium (NH4+) n'est pas absorbée par les plantes. Elle entre en contact avec le complexe argilo-humique du sol et, selon certaines conditions, est transformée en ammoniac gazeux (NH3) qui se volatilise dans l'air. La volatilisation ammoniacale fait en général parler d'elle au printemps, l'ammoniac étant à l’origine des pics de particules fines consécutifs aux épandages de sortie d’hiver. Selon le Centre Interprofessionnel Technique d’études de la Pollution Atmosphérique (CITEPA), l’agriculture est responsable de 94% des émissions d’ammoniac,
dont 29% sont liées à l'épandage des engrais minéraux. L'ampleur de ce phénomène est cependant très variable car dépendante des conditions environnementales, du mode d'épandage et de l'engrais utilisé, mais surtout du climat. En effet, par temps chaud, sec et venteux, la volatilisation de l’azote ammoniacal issu des engrais est maximale.
Le protoxyde d’azote est, quant à lui, un gaz à effet de serre. Trois-cents fois plus puissant que le CO2, il est le 3ème gaz à effet de serre avec le plus d’impact sur le réchauffement climatique. Ce gaz est émis lors de la transformation des engrais azotés en une forme assimilable par les bactéries présentes dans le sol. Ces émissions directes ont lieu par réactions de nitrification-dénitrification. L’activité agricole est donc la principale cause de cette pollution avec, à elle seule, 70% des émissions de protoxyde d’azote, dont 29,3% liées à l'épandage d'engrais minéraux. Les concentrations actuelles de ce gaz commencent à dépasser les niveaux projetés dans la plupart des scénarios d'émissions par le GIEC.
Le ruissellement des nitrates et l'eutrophisation des plans d’eau
Si les engrais polluent l'air, ils polluent également les eaux en ruisselant sous forme de nitrate dans les rivières, les nappes souterraines, les lacs et les océans. Ce ruissellement de l'azote n'est pas seulement lié à la quantité d'engrais appliquée, mais également à d'autres variables telles que le moment et l'endroit où l'engrais est appliqué, l'irrigation, le type d'engrais, les pratiques agronomiques et la rotation des cultures.
La forte concentration de nitrates dans l'eau perturbe l'équilibre des écosystèmes aquatiques, réduisant leur biodiversité. En effet, l'excès d’azote dans l’eau nourrit des algues qui ont alors la possibilité de proliférer et d'asphyxier le milieu. En prenant tout l'espace, elles empêchent les plantes d’avoir accès à la lumière et aux minéraux. De surcroît, lorsqu'elles meurent, les algues sont décomposées par des cyanobactéries qui consomment de l'oxygène présent dans l'eau et dégagent des toxines au détriment de la vie aquatique. Ces zones deviennent des zones "mortes", c’est ce qu’on appelle l’eutrophisation. Les cyanobactéries sont retrouvées naturellement dans les écosystèmes aquatiques mais leur prolifération excessive est liée directement à l'excès de nitrates dans les lacs et les rivières.

Sur le littoral, la prolifération massive d’algues vertes est une manifestation de l'eutrophisation. L’échouage de ces algues vertes est communément appelé "marée verte". C'est 50 à 60 milles tonnes d'algues qui s'échouent chaque année sur nos côtes et requièrent des opérations de ramassage. En plus de détruire la biodiversité aquatique, ces algues entraînent des risques sanitaires dès qu’elles sont amoncelées en tas. En effet, après 24 à 48h, la fermentation dégage un gaz toxique : le sulfure d’hydrogène. Le ramassage est donc nécessaire pour protéger les écosystèmes, le public et les animaux.
Ces phénomènes sont les conséquences de l’agriculture intensive. L’apport dans les écosystèmes d’énormes quantités d’azote - 90 millions de tonnes par an dans le monde - a complètement bouleversé le cycle de cet élément. Heureusement, il existe des pratiques permettant de réduire le recours aux engrais azotés de synthèse. Le Ministère de l'Agriculture et les Chambres d’agriculture régionales proposent d’ailleurs des recommandations techniques et des aides financières pour aider les agriculteurs à adopter des pratiques de fertilisation plus durables et responsables.
Références :
- CNRS, 2017. Eutrophisation : Manifestations, causes, conséquences et prédictibilité [en ligne]. Disponible à l'adresse : https://www.inee.cnrs.fr/fr/restitution-de-lesco-eutrophisation
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- DUFUMIER M., FRANCE INTER, 2021. Les engrais azotés de synthèse, un danger pour la santé et l'environnement [en ligne]. Disponible à l'adresse : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-terre-au-carre/les-engrais-azotes-de-synthese-un-danger-pour-la-sante-et-l-environnement-2168979
- MARtínez-dalmau J., BERBEL J., Ordóñez-fernández R., 2021. Nitrogen Fertilization. A Review of the Risks Associated with the Inefficiency of Its Use and Policy Responses [en ligne]. Disponible à l'adresse : https://www.mdpi.com/2071-1050/13/10/5625
- ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, 2022. Dispositifs publics en faveur d’une gestion durable de l’azote [en ligne]. Disponible à l'adresse : https://agriculture.gouv.fr/dispositifs-publics-en-faveur-dune-gestion-durable-de-lazote
- PLEINCHAMP, 2022. L’ammoniac, l’autre nuage d’émissions problématiques [en ligne]. Disponible à l'adresse : https://www.pleinchamp.com/actualite/l-ammoniac-l-autre-nuage-d-emissions-problematiques
- PROGRAMME D’ACTIONS NATIONAL NITRATES, 2020. L'azote est un élément indispensable à l'agriculture, mais il peut entrainer des pollutions
[en ligne]. Disponible à l'adresse :
https://programme-nitrate.gouv.fr/lazote-est-element-indispensable-a-lagriculture-il-peut-entrainer-pollutions.html







