Les filières biochar en plein essor : exemple des plantations d’ananas du Costa Rica
Le biochar, ce nouvel or noir pour le climat, témoigne des nombreux efforts déployés par le Costa Rica pour réduire l’impact environnemental de ses plantations d’ananas. Il pourrait bien permettre de relever les défis mondiaux liés à la production alimentaire et au changement climatique.
Une agriculture costaricienne soumise aux pressions écologistes
Le Costa Rica, réputé pour la beauté de ses paysages et la richesse de sa biodiversité, est un pays regorgeant de traditions agricoles. Ce petit pays de 54 000 kilomètres carrés a souvent été admiré pour sa stabilité économique. L’agriculture primaire y est en effet bien diversifiée : café, riz, sucre de canne, coton, bananes, ananas, autres fruits et légumes, ainsi que les cultures à cycle court, l’élevage d’embouche et de laiterie, et les plantations de forêts (FAO, 2004). Ces terres agricoles sont d’ailleurs le plus souvent situées côté Pacifique, notamment dans la région fertile de Guanacaste, irriguée par le fleuve Tempisque, le plus important du pays. Les exploitations moyennes, de 3 à 10 hectares, sont les plus courantes ; celles plus grandes sont rares et aux mains de sociétés internationales pour le commerce de l’huile de palme, de l’ananas ou du riz.

En raison de l’abondance d’écosystèmes fragiles - forêts tropicales, mangroves, récifs coralliens - et d’espèces endémiques menacées d’extinction au Costa Rica, l’agriculture est régulièrement soumise à des pressions écologistes. Elles se concentrent sur trois problèmes majeurs :
- La déforestation : L’expansion de l’agriculture, en particulier des cultures de rente comme la banane, l’ananas et le palmier à huile, a entraîné la déforestation de vastes étendues de terres, provoquant une perte de biodiversité et d’habitats pour de nombreuses espèces animales et végétales.
- L’utilisation intensive de pesticides : Cette utilisation excessive de pesticides dans l’agriculture costaricienne contribue à la contamination des cours d’eau, des sols et des écosystèmes aquatiques, mettant en péril la santé humaine et la biodiversité.
- La pollution de l’eau : Les pratiques agricoles, telles que l’élevage intensif et l’utilisation sans modération d’engrais azotés chimiques, participent à la pollution des rivières et nappes phréatiques, affectant la qualité de l’eau potable et des écosystèmes aquatiques.
De ce fait, au Costa Rica, les fruits tropicaux, cultivés quasiment uniquement en monoculture intensive, sont les plus problématiques. C’est dans le secteur de l’ananas que la situation est la plus alarmante.
L'ananas : une culture intensive nécessitant de forts apports en engrais azotés
Petit rappel historique : Dans les années 60, la production d’ananas au Costa Rica était encore artisanale et destinée à la consommation locale. Avec l’arrivée dans les années 80 des multinationales, la production massive et industrielle a commencé, avec l’utilisation importante de procédés de maturation pour l’exportation internationale et, surtout, d’engrais azotés. Si la totalité de la production était auparavant réservée à la consommation locale, de nos jours, elle ne représente plus que 7% (CANAPEP, 2018). Ainsi, la culture de l'ananas au Costa Rica est une activité agricole majeure et place ce pays au rang de premier producteur et exportateur d’ananas frais au monde, à destination essentiellement de l’Union Européenne (44%) et des Etats-Unis (53%) (CANAPEP, 2019).

En ce qui concerne la culture de l’ananas, le climat tropical du Costa Rica - avec des températures chaudes et une saison des pluies marquée - offre des conditions idéales. La plupart des plantations utilisent des méthodes de culture intensives. Les ananas sont cultivés en monoculture sur de vastes plantations qui couvrent des hectares de terres de moins en moins fertiles. En outre, l’ananas a un pouvoir d’enracinement très faible. C’est-à-dire que les racines, peu profondes, ont du mal à capter l’azote, élément essentiel pour la croissance et le développement des plantes. Les sols doivent donc être préparés et fortement enrichis en azote - appliqué généralement sous la forme d’engrais azotés chimiques - pour pouvoir accueillir l’ananas et maximiser le rendement des cultures. D’autant plus que les besoins azotés de ce fruit, en raison de sa croissance rapide, sont importants, notamment pour la star mondiale, la Golden, variété originaire des USA, remarquable pour sa saveur deux fois plus sucrée et la couleur dorée de sa chair.
Seulement, la culture intensive de l’ananas peut avoir des impacts environnementaux négatifs. Citons entre autres la déforestation, la lixiviation de l’azote dans les eaux souterraines entraînant une pollution de l’eau, l’appauvrissement des sols dû à la monoculture, mais également la gestion des déchets. En effet, “pour chaque kilogramme de fruit produit, presque trois fois plus de déchets de feuilles d’ananas sont générés” (Duong Hai Minh, professeur à l'université nationale de Singapour, 2020). Or, généralement, les agriculteurs - encombrés par ce sous-produit volumineux et fibreux - le brûlent ou le laissent pourrir dans la nature, créant des gaz à effet de serre indésirables ou d’autres polluants. Mais, de nouveaux procédés ont été développés ces dernières années pour valoriser ces résidus agricoles. Par exemple, il a été inventé une technique qui permet de convertir les déchets d'ananas en précieux aérogels, matériaux utilisés pour l’isolation thermique et acoustique. Cette découverte datant de 2018 a amorcé un premier pas du Costa Rica vers une agriculture durable et une meilleure gestion des déchets.
Le biochar, une alternative à la fertilisation azotée intensive ?
Face aux 76,4 millions de tonnes de déchets de feuilles d’ananas générés par an, une autre alternative, le biochar - qui a été développée dans de nombreux secteurs à travers le monde - a aussi fait ses preuves dans le cadre des plantations d’ananas au Costa Rica. En effet, elle permettrait, via le “recyclage” des déchets de feuilles, de s’affranchir des apports conséquents en engrais azotés. Le biochar, matériau riche en carbone, est un charbon d’origine végétale obtenu par pyrolyse de la biomasse de matières organiques d’origine diverse. Au vu de la quantité colossale de déchets de feuilles d’ananas produits chaque année, le Centre de recherche sur la pollution de l’environnement (CICA) a décidé de l’exploiter pour la fabrication de biochar. Ils sont donc broyés de manière à obtenir du biochar qui sera épandu sur les terres agricoles. Comme démontré dans d’autres régions du monde, le biochar améliorerait la fertilité des sols et réduirait les effets négatifs des engrais sur l’environnement. Il augmente la rétention des éléments nutritifs en améliorant la capacité d’échanges des cations et anions (Liang et coll. 2006), et stimule l’activité des microorganismes et symbioses dans les sols (Warnock et coll., 2007). Il joue également un rôle de fixation du carbone dans le sol, ce qui explique son intérêt dans le contexte des préoccupations concernant le changement climatique.

L’ananas étant très sensible aux parasites et maladies, dans le but d’éviter au maximum l’utilisation de pesticides - déjà trop élevée dans ce pays -, le but pour les agriculteurs est de faire arriver le fruit à maturité le plus rapidement possible. Pour cela, un fort apport en engrais et un sol fertile sont nécessaires. Le recours au biochar pourrait permettre de concilier plusieurs objectifs : devenir un pays neutre en carbone et rester le premier producteur mondial d’ananas, tout en aidant les producteurs à cultiver des fruits de manière plus rentable et écologique.
Ce nouveau type d’amendement du sol pourrait ainsi contribuer à réduire l’utilisation d’engrais ainsi que les émissions de gaz à effet de serre. En effet, “la majorité des producteurs d’ananas épandent plus d’engrais qu’il n’est nécessaire, et une grande partie de ces substances se perd dans l’atmosphère sous forme de gaz à effet de serre ou pollue les cours d’eaux et les eaux souterraines”, explique Cristina Chinchilla, chercheuse agronome au CICA de l’Université du Costa Rica.

Pour confirmer les avantages de l’utilisation du biochar, les experts du CICA épandent des engrais marqués à l’aide d’un isotope radioactif stable, l’azote 15 (15N). Grâce à cette technique, ils peuvent suivre la quantité d’azote qui est soit absorbée par les plantes, soit perdue dans l’atmosphère sous forme de gaz à effet de serre ou dans les eaux de surface et les eaux souterraines. Ainsi, il leur est possible de déterminer l’efficacité avec laquelle les cultures assimilent les engrais quand elles sont cultivées sur un sol riche en biochar, et ainsi d’optimiser l’usage de ces derniers dans les exploitations agricoles (IAEA, Laura Gil, 2028).
En parallèle, en France, des associations comme AILE (Association d’Initiatives Locales pour l’Energie et l’Environnement) et B2E (Bretagne Eco-Entreprises) ou bien l’Université UniLaSalle de Rennes étudient les nouveaux débouchés pour des biochar à base de biomasse sous-valorisée. La filière biochar reste à structurer, notamment la mise en place d’un cadre réglementaire et la baisse des coûts de production, mais les perspectives sont très prometteuses et laissent entrevoir une croissance exponentielle (INTERREG THREE C, 2022).
Références :
- BLANCO PICADO P., Universidad de Costa Rica, 2018. El biocarbón o biochar: una alternativa novedosa al tratamiento de los desechos de la piña [en ligne]. Disponible à l'adresse : https://www.ucr.ac.cr/noticias/2018/06/21/el-biocarbon-o-biochar-una-alternativa-novedosa-al-tratamiento-de-los-desechos-de-la-pina.html
- CANAPEP (Chambre Nationale des producteurs et exportateurs d'ananas du Costa Rica), 2020. Historia de la piña en Costa Rica [en ligne]. Disponible à l'adresse : https://canapep.com/historia-de-la-pina-en-costa-rica/
- CANAPEP, 2021. Statistiques [en ligne]. Disponible à l'adresse : https://canapep.com/estadisticas/
- CICA (Centre de recherche sur la pollution de l’environnement de l’Université du Costa Rica), 2018. Investigación busca producir Biochar a base de rastrojo de Piña para el mejoramiento del suelo [en ligne]. Disponible à l'adresse : https://cica.ucr.ac.cr/investigacion-busca-producir-biochar-a-base-de-rastrojo-de-pina-para-el-mejoramiento-del-suelo/
- COECO CEIBA (COmunidades ECOlogistas la Ceiba, Costa Rica), 2022. Resolver la crisis alimentaria mundial mediante el cambio de sistema [en ligne]. Disponible à l'adresse : https://www.coecoceiba.org/resolver-la-crisis-alimentaria-mundial-mediante-el-cambio-de-sistema/
- FAO, 2001. Rapport de la deuxième session du groupe intergouvernemental sur la banane et les fruits tropicaux [en ligne]. Disponible à l'adresse : https://www.fao.org/3/Y6111f/Y6111f.htm
- FAO, 2015. Profil du pays - Costa Rica [en ligne]. Disponible à l'adresse : https://www.fao.org/aquastat/fr/countries-and-basins/country-profiles/country/CRI
- GALINDO A., IAEA (International Atomic Energy Agency), 2018. Le Costa Rica améliore l’utilisation des engrais et mesure les émissions de gaz à effet de serre en mettant à contribution la science nucléaire [en ligne]. Disponible à l'adresse : https://www.iaea.org/fr/bulletin/le-costa-rica-ameliore-lutilisation-des-engrais-et-mesure-les-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-en-mettant-a-contribution-la-science-nucleaire
- GIL L., IAEA 2018. Costa Rica paves the way for climate-smart agriculture [en ligne]. Disponible à l'adresse : https://www.iaea.org/sites/default/files/publications/magazines/bulletin/bull59-1/5911011.pdf
- INTERREG THREE C, 2022. Creating the circular carbon economy [en ligne]. Disponible à l'adresse :
https://threec.eu/








