Les filières biochar en plein essor : exemple des plantations d’ananas du Costa Rica

N.Violeau, Idriss Aouriri • March 8, 2024

Le biochar, ce nouvel or noir pour le climat, témoigne des nombreux efforts déployés par le Costa Rica pour réduire l’impact environnemental de ses plantations d’ananas. Il pourrait bien permettre de relever les défis mondiaux liés à la production alimentaire et au changement climatique.

Une agriculture costaricienne soumise aux pressions écologistes

Le Costa Rica, réputé pour la beauté de ses paysages et la richesse de sa biodiversité, est un pays regorgeant de traditions agricoles. Ce petit pays de 54 000 kilomètres carrés a souvent été admiré pour sa stabilité économique. L’agriculture primaire y est en effet bien diversifiée : café, riz, sucre de canne, coton, bananes, ananas, autres fruits et légumes, ainsi que les cultures à cycle court, l’élevage d’embouche et de laiterie, et les plantations de forêts (FAO, 2004). Ces terres agricoles sont d’ailleurs le plus souvent situées côté Pacifique, notamment dans la région fertile de Guanacaste, irriguée par le fleuve Tempisque, le plus important du pays. Les exploitations moyennes, de 3 à 10 hectares, sont les plus courantes ; celles plus grandes sont rares et aux mains de sociétés internationales pour le commerce de l’huile de palme, de l’ananas ou du riz.

En raison de l’abondance d’écosystèmes fragiles - forêts tropicales, mangroves, récifs coralliens - et d’espèces endémiques menacées d’extinction au Costa Rica, l’agriculture est régulièrement soumise à des pressions écologistes. Elles se concentrent sur trois problèmes majeurs : 

  1. La déforestation : L’expansion de l’agriculture, en particulier des cultures de rente comme la banane, l’ananas et le palmier à huile, a entraîné la déforestation de vastes étendues de terres, provoquant une perte de biodiversité et d’habitats pour de nombreuses espèces animales et végétales.
  2. L’utilisation intensive de pesticides : Cette utilisation excessive de pesticides dans l’agriculture costaricienne contribue à la contamination des cours d’eau, des sols et des écosystèmes aquatiques, mettant en péril la santé humaine et la biodiversité.
  3. La pollution de l’eau : Les pratiques agricoles, telles que l’élevage intensif et l’utilisation sans modération d’engrais azotés chimiques, participent à la pollution des rivières et nappes phréatiques, affectant la qualité de l’eau potable et des écosystèmes aquatiques.


De ce fait, au Costa Rica, les fruits tropicaux, cultivés quasiment uniquement en monoculture intensive, sont les plus problématiques. C’est dans le secteur de l’ananas que la situation est la plus alarmante.

L'ananas : une culture intensive nécessitant de forts apports en engrais azotés

Petit rappel historique : Dans les années 60, la production d’ananas au Costa Rica était encore artisanale et destinée à la consommation locale. Avec l’arrivée dans les années 80 des multinationales, la production massive et industrielle a commencé, avec l’utilisation importante de procédés de maturation pour l’exportation internationale et, surtout, d’engrais azotés. Si la totalité de la production était auparavant réservée à la consommation locale, de nos jours, elle ne représente plus que 7% (CANAPEP, 2018). Ainsi, la culture de l'ananas au Costa Rica est une activité agricole majeure et place ce pays au rang de premier producteur et exportateur d’ananas frais au monde, à destination essentiellement de l’Union Européenne (44%) et des Etats-Unis (53%) (CANAPEP, 2019).

En ce qui concerne la culture de l’ananas, le climat tropical du Costa Rica -  avec des températures chaudes et une saison des pluies marquée - offre des conditions idéales. La plupart des plantations utilisent des méthodes de culture intensives. Les ananas sont cultivés en monoculture sur de vastes plantations qui couvrent des hectares de terres de moins en moins fertiles. En outre, l’ananas a un pouvoir d’enracinement très faible. C’est-à-dire que les racines, peu profondes, ont du mal à capter l’azote, élément essentiel pour la croissance et le développement des plantes. Les sols doivent donc être préparés et fortement enrichis en azote - appliqué généralement sous la forme d’engrais azotés chimiques - pour pouvoir accueillir l’ananas et maximiser le rendement des cultures. D’autant plus que les besoins azotés de ce fruit, en raison de sa croissance rapide, sont importants, notamment pour la star mondiale, la Golden, variété originaire des USA, remarquable pour sa saveur deux fois plus sucrée et la couleur dorée de sa chair.

Seulement, la culture intensive de l’ananas peut avoir des impacts environnementaux négatifs. Citons entre autres la déforestation, la lixiviation de l’azote dans les eaux souterraines entraînant une pollution de l’eau, l’appauvrissement des sols dû à la monoculture, mais également la gestion des déchets. En effet, “pour chaque kilogramme de fruit produit, presque trois fois plus de déchets de feuilles d’ananas sont générés” (Duong Hai Minh, professeur à l'université nationale de Singapour, 2020). Or, généralement, les agriculteurs - encombrés par ce sous-produit volumineux et fibreux - le brûlent ou le laissent pourrir dans la nature, créant des gaz à effet de serre indésirables ou d’autres polluants. Mais, de nouveaux procédés ont été développés ces dernières années pour valoriser ces résidus agricoles. Par exemple, il a été inventé une technique qui permet de convertir les déchets d'ananas en précieux aérogels, matériaux utilisés pour l’isolation thermique et acoustique. Cette découverte datant de 2018 a amorcé un premier pas du Costa Rica vers une agriculture durable et une meilleure gestion des déchets.

Le biochar, une alternative à la fertilisation azotée intensive ?

Face aux 76,4 millions de tonnes de déchets de feuilles d’ananas générés par an, une autre alternative, le biochar - qui a été développée dans de nombreux secteurs à travers le monde - a aussi fait ses preuves dans le cadre des plantations d’ananas au Costa Rica. En effet, elle permettrait, via le “recyclage” des déchets de feuilles, de s’affranchir des apports conséquents en engrais azotés. Le biochar, matériau riche en carbone, est un charbon d’origine végétale obtenu par pyrolyse de la biomasse de matières organiques d’origine diverse. Au vu de la quantité colossale de déchets de feuilles d’ananas produits chaque année, le Centre de recherche sur la pollution de l’environnement (CICA) a décidé de l’exploiter pour la fabrication de biochar. Ils sont donc broyés de manière à obtenir du biochar qui sera épandu sur les terres agricoles. Comme démontré dans d’autres régions du monde, le biochar améliorerait la fertilité des sols et réduirait les effets négatifs des engrais sur l’environnement. Il augmente la rétention des éléments nutritifs en améliorant la capacité d’échanges des cations et anions (Liang et coll. 2006), et stimule l’activité des microorganismes et symbioses dans les sols (Warnock et coll., 2007). Il joue également un rôle de fixation du carbone dans le sol, ce qui explique son intérêt dans le contexte des préoccupations concernant le changement climatique.

L’ananas étant très sensible aux parasites et maladies, dans le but d’éviter au maximum l’utilisation de pesticides - déjà trop élevée dans ce pays -, le but pour les agriculteurs est de faire arriver le fruit à maturité le plus rapidement possible. Pour cela, un fort apport en engrais et un sol fertile sont nécessaires. Le recours au biochar pourrait permettre de concilier plusieurs objectifs : devenir un pays neutre en carbone et rester le premier producteur mondial d’ananas, tout en aidant les producteurs à cultiver des fruits de manière plus rentable et écologique.

Ce nouveau type d’amendement du sol pourrait ainsi contribuer à réduire l’utilisation d’engrais ainsi que les émissions de gaz à effet de serre. En effet, “la majorité des producteurs d’ananas épandent plus d’engrais qu’il n’est nécessaire, et une grande partie de ces substances se perd dans l’atmosphère sous forme de gaz à effet de serre ou pollue les cours d’eaux et les eaux souterraines”, explique Cristina Chinchilla, chercheuse agronome au CICA de l’Université du Costa Rica. 

Pour confirmer les avantages de l’utilisation du biochar, les experts du CICA épandent des engrais marqués à l’aide d’un isotope radioactif stable, l’azote 15 (15N). Grâce à cette technique, ils peuvent  suivre la quantité d’azote qui est soit absorbée par les plantes, soit perdue dans l’atmosphère sous forme de gaz à effet de serre ou dans les eaux de surface et les eaux souterraines. Ainsi, il leur est possible de déterminer l’efficacité avec laquelle les cultures assimilent les engrais quand elles sont cultivées sur un sol riche en biochar, et ainsi d’optimiser l’usage de ces derniers dans les exploitations agricoles (IAEA, Laura Gil, 2028).


En parallèle, en France, des associations comme AILE (Association d’Initiatives Locales pour l’Energie et l’Environnement) et B2E (Bretagne Eco-Entreprises) ou bien l’Université UniLaSalle de Rennes étudient les nouveaux débouchés pour des biochar à base de biomasse sous-valorisée. La filière biochar reste à structurer, notamment la mise en place d’un cadre réglementaire et la baisse des coûts de production, mais les perspectives sont très prometteuses et laissent entrevoir une croissance exponentielle (INTERREG THREE C, 2022). 

Références :

By G. Demarquest , I. aouriri March 26, 2024
Les agriculteurs sont de plus en plus nombreux à se convertir à l’agriculture biologique. Le ministère de l’Agriculture dénombre 60 000 fermes engagées en bio en 2022, soit 14,2% des fermes françaises. Cela représente une surface totale de 2,88 millions d'hectares, faisant de la France la première surface bio en Europe. Cette même dynamique est observée dans toute l’Europe et suit l’intérêt croissant des consommateurs pour les produits biologiques et le respect de l'environnement. Ainsi, la Commission européenne a mis en place la stratégie "De la ferme à la fourchette", visant à atteindre 1/4 des terres agricoles cultivées en agriculture biologique pour 2030. Mais, entre les réglementations européennes, le cahier des charges français et les nombreuses évolutions des règlements, il peut être difficile de s’y retrouver. De nombreuses questions émergent chez les agriculteurs souhaitant se convertir au bio, notamment la question de la qualité et la composition des sols nécessaires pour passer au bio.
By G. Demarquest , I. aouriri March 26, 2024
Parmi les facteurs naturels qui déterminent la richesse d'un sol, la teneur en humus figure parmi les premiers de la liste. L’humus, qui constitue la couche supérieure du sol, se forme grâce à la décomposition de matière organique fraîche (d'origine végétale ou animale) en matière organique stable via un processus particulier appelé humification. Dès la préhistoire, les agriculteurs ont reconnu l'importance d'apporter régulièrement de la matière organique au sol. Cependant, il a fallu du temps pour comprendre pleinement son impact sur les sols et les cultures. Depuis, de nombreuses études ont contribué à approfondir notre compréhension de ce processus essentiel pour l'agriculture, l'humus représentant 80% du total de la matière organique dans un sol.
By N. Violeau, I. Aouriri March 20, 2024
Au beau milieu du réchauffement climatique, comment se profile l’avenir géopolitique et économique de la Russie et de l’Europe ? Perspectives sur la souveraineté alimentaire, sur les politiques adoptées ainsi que sur les alternatives pour un possible déclin de l’ultra-dépendance européenne au gaz russe, élément indispensable à la fabrication des engrais azotés.
By N. Violeau, I. Aouriri March 20, 2024
En matière de protection de la qualité des eaux, la lutte contre la pollution diffuse par les nitrates est un enjeu important. Avec la publication début 2023 du septième programme d’actions national “nitrates”, le raisonnement de la fertilisation azotée à l’échelle de l’exploitation agricole est, plus que jamais, un sujet d’actualité.
By N. Violeau, I. Aouriri September 22, 2023
Engrais azotés, gaz naturel, instabilité géopolitique, pénuries et volatilité des prix : la guerre en Ukraine nous a cruellement rappelé qu’en matière d’engrais, l’Europe peut difficilement échapper à la domination de la Russie.
By G. Demarquest , I. aouriri September 22, 2023
Dans les années 1960, les pays en développement ont adopté une politique de réforme agricole visant à remédier aux pénuries alimentaires. Connue sous le nom de révolution verte, cette initiative avait pour objectif d'améliorer les pratiques agricoles afin d'accroître la productivité. Une des mesures phares était fondée sur l'utilisation intensive d'engrais azotés de synthèse. En effet, l'avènement quelques années plus tôt du procédé Haber-Bosch - qui synthétise de l'ammoniac à partir d'azote atmosphérique et de gaz naturel - a permis une certaine indépendance de l'agriculture vis à vis des amendements organiques . Dès lors, les engrais minéraux sont devenus la principale source de fertilité, parfois même la seule, ce qui a considérablement contribué à l'augmentation des rendements. Cependant, ces engrais azotés de synthèse suscite l'inquiétude des agriculteurs comme les états, tant sur le plan environnemental que géopolitique. Le président de l’Organisation Mondiale des Agriculteurs, Theo De Jager, déclarait d’ailleurs en mai 2022 sur la question de la disponibilité des engrais que "nous sommes déjà au milieu d’une crise alimentaire dont il faut désormais évaluer l’ampleur et la gravité" . L’approvisionnement en engrais azotés joue donc un rôle majeur dans la sécurité alimentaire mondiale et implique des enjeux géopolitiques forts.
By G. Demarquest , I. aouriri September 22, 2023
L'azote est présent dans la nature sous plusieurs formes : gazeuse, minérale et organique. Les sols fertiles contiennent beaucoup d'azote sous forme organique, plus qu'il n'en faut pour la nutrition des cultures. Cependant, cet azote n'est pas immédiatement disponible pour les plantes, il doit d'abord être transformé en azote minéral pour devenir un nutriment. C'est grâce à des processus biologiques que des micro-organismes transforment l’azote organique en azote minéral assimilable par les cultures. Ainsi, dans le sol l'azote subit de nombreuses transformations, passant d'une forme à une autre à mesure que les organismes l'utilisent.
By G. Demarquest , I. aouriri September 21, 2023
De février à avril, en France, les agriculteurs épandent sur leurs parcelles des engrais azotés minéraux pour favoriser la croissance de leurs cultures. Sur les 2,2 millions de tonnes d’azote utilisées en France, seule la moitié sert véritablement aux plantes, tandis que l’autre moitié se perd dans l’environnement. Cette quantité non-assimilée témoigne de l'utilisation excessive d'engrais azotés et a montré ses impacts négatifs sur le sol, l'air et les écosystèmes aquatiques.
Ngenesis engrais azotés
By Idriss Aouriri August 23, 2023
Aussi loin que nous remontons dans l’histoire de l’agriculture nous comprenons que le monde paysan a toujours parfaitement fait le lien entre l’apport de déjections animales dans les parcelles et l’amélioration des récoltes. Par la simple observation empirique, les premiers agriculteurs ont bien vu que la présence de déjections rendait l’herbe plus verte. Que ce soit le fumier, le lisier ou le guano, tous ces fertilisants traditionnellement utilisés sont constitués de matière organique transformée ou digérée par des animaux sauvages ou d’élevage. Mais c’est seulement en 1848 que le chimiste allemand Justus Von Liebig comprend le rôle prépondérant de l’azote dans l’alimentation des plantes, cet azote qui constitue 79% de l’atmosphère mais qui n’est assimilable par les plantes que sous forme minérale dans le sol. Et c’est bien la minéralisation des déjections animales et des résidus végétaux, qui fournit l’azote nécessaire à la croissance des plantes. C’est cette découverte du rôle prépondérant de l’azote dans le rendement des végétaux qui allait conduire, plusieurs décennies plus tard, à ce que beaucoup considèrent comme la plus grande innovation agroindustrielle du XXe siècle.
By G. Demarquest , I. aouriri July 7, 2023
Au cours des dernières décennies, l'augmentation exponentielle de la population a fait explosé les besoins alimentaires mondiaux. C’est en partie l’application massive d’engrais azotés de synthèse qui a permis de soutenir cette dynamique. Ainsi, depuis 1960, la consommation de ces engrais a été multipliée par neuf dans le monde. Plusieurs facteurs en sont à l'origine. D'abord, les agriculteurs ont tendance à sur-fertiliser leurs parcelles pour éviter la carence des plantes et maximiser le rendement. Ensuite, des variétés de plantes de plus en plus productives ont été soigneusement sélectionnées par des efforts de recherche est de développement considérables. Cependant, pour atteindre les rendements attendus, ces nouvelles variétés requièrent des quantités d'engrais toujours plus importantes, et c'est bien l'application intensive de ces engrais qui s'est révélée être à l’origine de nombreux problèmes de santé publique.
More Posts