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Russie : Les dangers de la dépendance européenne sur le marché des engrais

N. Violeau, I. Aouriri • September 22, 2023

Engrais azotés, gaz naturel, instabilité géopolitique, pénuries et volatilité des prix : la guerre en Ukraine nous a cruellement rappelé qu’en matière d’engrais, l’Europe peut difficilement échapper à la domination de la Russie.

Les engrais azotés et leur contexte géopolitique mondial

Il est bien connu que l’azote est un élément essentiel à la croissance des tiges et des feuilles des plantes supérieures, notamment des céréales. L’azote absorbé par la plante peut provenir soit de la minéralisation de la matière organique du sol, soit de l’apport de fertilisants azotés minéraux, sous forme liquide (solution azotée) ou de granulés (ammonitrate et urée). Contrairement à la potasse et au phosphore, issus de minerais extraits du sous-sol, ces engrais azotés sont produits à partir d’ammoniac obtenu en combinant l’azote de l’air et l’hydrogène provenant du gaz naturel. Problème : le prix du gaz naturel participe à hauteur de plus de 80% du coût de fabrication des engrais azotés minéraux. Or, tous les pays ne disposent pas des mêmes ressources de gaz naturel. Les Etats-Unis, premier pays producteur de gaz, s’arrogent ainsi près de 20 % de la production totale mondiale et sont talonnés par la Russie qui en dégage 18%.


La pandémie de Covid-19 puis l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont mis en exergue les relations d’interdépendance économique entre la Russie et l’Europe. La situation alimentaire mondiale n’a pas viré à la pénurie totale, mais elle demeure des plus tendues. La production des engrais, aussi stratégiques que le pétrole ou le gaz, reste concentrée entre les mains de pays très influents, et qui semblent bien résolus à profiter de la situation.

Profondes mutations sur le marché des engrais

Le marché mondial des engrais s’est métamorphosé ces dernières années. L’Europe et les Etats-Unis n’en sont plus les principaux leaders. On assiste au basculement de la demande vers les pays émergents qui ont vu leurs besoins alimentaires croître à un rythme soutenu. Désormais le Brésil, l’Inde et l’Argentine sont les premiers importateurs mondiaux d’engrais, et pèsent donc fortement sur le marché. Acteur clé du commerce des engrais, la Chine est, quant à elle, une des puissances qui produit le plus d’engrais azotés au monde tout en exportant de moins en moins. Elle restreint en effet progressivement ses exportations d’engrais afin d’approvisionner en priorité son marché national, ce qui tend encore davantage le marché international. 


En 1989, l’Europe représentait 21% de la consommation mondiale d’engrais. Aujourd’hui, sa part a considérablement diminué et ne représente plus que 9%. Derrière la domination de l’Asie qui concentre désormais les ⅔ de la production et consommation mondiales, l’Europe ne peut plus peser sur la demande, le marché est déséquilibré, et les agriculteurs se retrouvent soumis aux variations du marché mondial.

Déséquilibres sur l’accès aux ressources en gaz

Face à l’augmentation significative de la demande en engrais azotés, le coût du gaz a joué un rôle prépondérant dans la délocalisation des lieux de production d’engrais. Ils se sont reportés vers des zones disposant d’importantes ressources de gaz - à bas coût d’exploitation - pour l’extraction, la transformation et le transport. Ainsi, en 2008, la Russie, le Qatar et l’Iran, détenteurs de 60% des réserves mondiales de gaz (CIA World Factbook, 2021), ont-ils décidé de former une “troïka” du gaz, aussi surnommée “cartel” du gaz. Les termes sont évocateurs ! Cet éloignement entre sites de production et bassins de consommation aura donc favorisé l’incertitude sur la production et l’approvisionnement d’engrais, augmentant ainsi la volatilité des prix et laissant place à la spéculation. Ce sujet de volatilité du marché des engrais est une préoccupation majeure puisqu’il se traduit par des risques économiques importants pour les agriculteurs.

Guerre en Ukraine : mise en lumière des liens d’interdépendance entre la Russie et l'Europe sur le marché des engrais azotés

Le marché européen des engrais azotés est désormais soumis à l’évolution du contexte géopolitique mondial. On le voit bien avec la Russie qui a récemment mis à profit sa position dominante sur la production d’engrais et de gaz pour en faire des armes politiques (Parlement européen, 2023). Le contexte est posé : après la forte reprise économique post-Covid, et le prix des engrais commençant à flamber dès début 2021 à cause de stocks trop bas (Chambre d’agriculture Normandie, 2022), l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 a profondément bouleversé un marché des engrais déjà chahuté. En effet, l'Europe produit certes une partie de ses engrais, mais cela est loin d'être suffisant pour répondre à ses besoins et, surtout, la production est quasiment entièrement dépendante de gaz importé. Son sort est donc tout particulièrement lié à la Russie, dans la mesure où 40% de son approvisionnement en gaz proviennent de ce pays (Jacob Hansen, directeur général de Fertilizers Europe, l’Association européenne des fabricants d’engrais, à EURACTIV, 2022). 

Quand Vladimir Poutine, pour faire pression, a décidé de “couper le robinet du gaz” via le gazoduc Nord Stream en septembre 2022 - suite à la proposition de la Commission européenne d’instaurer un plafonnement des prix -, l’Europe a ainsi assisté à une flambée spectaculaire du prix du gaz, au point que 70% des fabricants européens d’engrais ont cessé leur production. Toutefois, si les importations en engrais depuis la Russie se sont quasiment taries suite à cet épisode, elles ont repris depuis la fin de l’année 2022 (Nicolas Ferenczi, responsable des affaires internationales de l’Association Générale des Producteurs de Blé, 2023). Concernant la production européenne, celle-ci a redémarré mais certaines usines ne tournent pas encore à plein régime et 30% sont toujours à l’arrêt.

Toujours est-il que cette guerre a créé une instabilité politique et économique ainsi que de fortes répercussions sur le secteur des engrais. Elle a mis en lumière la dépendance accrue des pays européens aux importations d’engrais et de gaz russes. Cette situation de dépendance concerne aussi de nombreuses régions du monde comme l'Afrique ou encore l'Amérique du sud qui subissent de plein fouet la volatlité des prix.  Si les prix se rapprochent depuis peu de leurs niveaux d’avant-guerre, le conflit va continuer à peser sur les marchés à court et long terme. La question qui se pose maintenant est de savoir quelles sont les solutions alternatives durables pour la production d'engrais azotés.



Références :

By G. Demarquest , I. aouriri March 26, 2024
Les agriculteurs sont de plus en plus nombreux à se convertir à l’agriculture biologique. Le ministère de l’Agriculture dénombre 60 000 fermes engagées en bio en 2022, soit 14,2% des fermes françaises. Cela représente une surface totale de 2,88 millions d'hectares, faisant de la France la première surface bio en Europe. Cette même dynamique est observée dans toute l’Europe et suit l’intérêt croissant des consommateurs pour les produits biologiques et le respect de l'environnement. Ainsi, la Commission européenne a mis en place la stratégie "De la ferme à la fourchette", visant à atteindre 1/4 des terres agricoles cultivées en agriculture biologique pour 2030. Mais, entre les réglementations européennes, le cahier des charges français et les nombreuses évolutions des règlements, il peut être difficile de s’y retrouver. De nombreuses questions émergent chez les agriculteurs souhaitant se convertir au bio, notamment la question de la qualité et la composition des sols nécessaires pour passer au bio.
By G. Demarquest , I. aouriri March 26, 2024
Parmi les facteurs naturels qui déterminent la richesse d'un sol, la teneur en humus figure parmi les premiers de la liste. L’humus, qui constitue la couche supérieure du sol, se forme grâce à la décomposition de matière organique fraîche (d'origine végétale ou animale) en matière organique stable via un processus particulier appelé humification. Dès la préhistoire, les agriculteurs ont reconnu l'importance d'apporter régulièrement de la matière organique au sol. Cependant, il a fallu du temps pour comprendre pleinement son impact sur les sols et les cultures. Depuis, de nombreuses études ont contribué à approfondir notre compréhension de ce processus essentiel pour l'agriculture, l'humus représentant 80% du total de la matière organique dans un sol.
By N. Violeau, I. Aouriri March 20, 2024
Au beau milieu du réchauffement climatique, comment se profile l’avenir géopolitique et économique de la Russie et de l’Europe ? Perspectives sur la souveraineté alimentaire, sur les politiques adoptées ainsi que sur les alternatives pour un possible déclin de l’ultra-dépendance européenne au gaz russe, élément indispensable à la fabrication des engrais azotés.
By N. Violeau, I. Aouriri March 20, 2024
En matière de protection de la qualité des eaux, la lutte contre la pollution diffuse par les nitrates est un enjeu important. Avec la publication début 2023 du septième programme d’actions national “nitrates”, le raisonnement de la fertilisation azotée à l’échelle de l’exploitation agricole est, plus que jamais, un sujet d’actualité.
By N.Violeau, Idriss Aouriri March 8, 2024
Le biochar, ce nouvel or noir pour le climat, témoigne des nombreux efforts déployés par le Costa Rica pour réduire l’impact environnemental de ses plantations d’ananas. Il pourrait bien permettre de relever les défis mondiaux liés à la production alimentaire et au changement climatique.
By G. Demarquest , I. aouriri September 22, 2023
Dans les années 1960, les pays en développement ont adopté une politique de réforme agricole visant à remédier aux pénuries alimentaires. Connue sous le nom de révolution verte, cette initiative avait pour objectif d'améliorer les pratiques agricoles afin d'accroître la productivité. Une des mesures phares était fondée sur l'utilisation intensive d'engrais azotés de synthèse. En effet, l'avènement quelques années plus tôt du procédé Haber-Bosch - qui synthétise de l'ammoniac à partir d'azote atmosphérique et de gaz naturel - a permis une certaine indépendance de l'agriculture vis à vis des amendements organiques . Dès lors, les engrais minéraux sont devenus la principale source de fertilité, parfois même la seule, ce qui a considérablement contribué à l'augmentation des rendements. Cependant, ces engrais azotés de synthèse suscite l'inquiétude des agriculteurs comme les états, tant sur le plan environnemental que géopolitique. Le président de l’Organisation Mondiale des Agriculteurs, Theo De Jager, déclarait d’ailleurs en mai 2022 sur la question de la disponibilité des engrais que "nous sommes déjà au milieu d’une crise alimentaire dont il faut désormais évaluer l’ampleur et la gravité" . L’approvisionnement en engrais azotés joue donc un rôle majeur dans la sécurité alimentaire mondiale et implique des enjeux géopolitiques forts.
By G. Demarquest , I. aouriri September 22, 2023
L'azote est présent dans la nature sous plusieurs formes : gazeuse, minérale et organique. Les sols fertiles contiennent beaucoup d'azote sous forme organique, plus qu'il n'en faut pour la nutrition des cultures. Cependant, cet azote n'est pas immédiatement disponible pour les plantes, il doit d'abord être transformé en azote minéral pour devenir un nutriment. C'est grâce à des processus biologiques que des micro-organismes transforment l’azote organique en azote minéral assimilable par les cultures. Ainsi, dans le sol l'azote subit de nombreuses transformations, passant d'une forme à une autre à mesure que les organismes l'utilisent.
By G. Demarquest , I. aouriri September 21, 2023
De février à avril, en France, les agriculteurs épandent sur leurs parcelles des engrais azotés minéraux pour favoriser la croissance de leurs cultures. Sur les 2,2 millions de tonnes d’azote utilisées en France, seule la moitié sert véritablement aux plantes, tandis que l’autre moitié se perd dans l’environnement. Cette quantité non-assimilée témoigne de l'utilisation excessive d'engrais azotés et a montré ses impacts négatifs sur le sol, l'air et les écosystèmes aquatiques.
Ngenesis engrais azotés
By Idriss Aouriri August 23, 2023
Aussi loin que nous remontons dans l’histoire de l’agriculture nous comprenons que le monde paysan a toujours parfaitement fait le lien entre l’apport de déjections animales dans les parcelles et l’amélioration des récoltes. Par la simple observation empirique, les premiers agriculteurs ont bien vu que la présence de déjections rendait l’herbe plus verte. Que ce soit le fumier, le lisier ou le guano, tous ces fertilisants traditionnellement utilisés sont constitués de matière organique transformée ou digérée par des animaux sauvages ou d’élevage. Mais c’est seulement en 1848 que le chimiste allemand Justus Von Liebig comprend le rôle prépondérant de l’azote dans l’alimentation des plantes, cet azote qui constitue 79% de l’atmosphère mais qui n’est assimilable par les plantes que sous forme minérale dans le sol. Et c’est bien la minéralisation des déjections animales et des résidus végétaux, qui fournit l’azote nécessaire à la croissance des plantes. C’est cette découverte du rôle prépondérant de l’azote dans le rendement des végétaux qui allait conduire, plusieurs décennies plus tard, à ce que beaucoup considèrent comme la plus grande innovation agroindustrielle du XXe siècle.
By G. Demarquest , I. aouriri July 7, 2023
Au cours des dernières décennies, l'augmentation exponentielle de la population a fait explosé les besoins alimentaires mondiaux. C’est en partie l’application massive d’engrais azotés de synthèse qui a permis de soutenir cette dynamique. Ainsi, depuis 1960, la consommation de ces engrais a été multipliée par neuf dans le monde. Plusieurs facteurs en sont à l'origine. D'abord, les agriculteurs ont tendance à sur-fertiliser leurs parcelles pour éviter la carence des plantes et maximiser le rendement. Ensuite, des variétés de plantes de plus en plus productives ont été soigneusement sélectionnées par des efforts de recherche est de développement considérables. Cependant, pour atteindre les rendements attendus, ces nouvelles variétés requièrent des quantités d'engrais toujours plus importantes, et c'est bien l'application intensive de ces engrais qui s'est révélée être à l’origine de nombreux problèmes de santé publique.
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