Engrais azotés et santé publique : des liens complexes
Au cours des dernières décennies, l'augmentation exponentielle de la population a fait explosé les besoins alimentaires mondiaux. C’est en partie l’application massive d’engrais azotés de synthèse qui a permis de soutenir cette dynamique. Ainsi, depuis 1960, la consommation de ces engrais a été multipliée par neuf dans le monde. Plusieurs facteurs en sont à l'origine. D'abord, les agriculteurs ont tendance à sur-fertiliser leurs parcelles pour éviter la carence des plantes et maximiser le rendement. Ensuite, des variétés de plantes de plus en plus productives ont été soigneusement sélectionnées par des efforts de recherche est de développement considérables. Cependant, pour atteindre les rendements attendus, ces nouvelles variétés requièrent des quantités d'engrais toujours plus importantes, et c'est bien l'application intensive de ces engrais qui s'est révélée être à l’origine de nombreux problèmes de santé publique.
Les engrais et les particules fines dans l’air
Chaque année, près de 700.000 tonnes d’ammoniac sont rejetées dans la nature. Combinés aux autres polluants atmosphériques, l'ammoniac et les oxydes d'azote engendrent la formation de particules fines très dangereuses pour la santé. La pollution de l’air affecte le fonctionnement de nos poumons, aggrave certains symptômes chez les personnes asthmatiques et augmente le risque de maladies comme la bronchite ou même le cancer. Selon l'OMS, en 2017, se sont 5 millions de personnes qui sont décédées suite à des maladies liées à la pollution atmosphérique . En France, la pollution de l’air (toute pollution confondue) est responsable d’environ 48.000 décès prématurés par an. En 2021, également, des chercheurs américain ont déterminé que la pollution de l’air directement liée aux émissions d’ammoniac agricole était responsable de 12.400 décès par an.
Les nitrates dans notre alimentation
L'eau ou les aliments que nous ingérons présentent aussi un risque pour la santé. Même si des nitrates sont naturellement présents dans certains légumes et dans les sols, leur concentration dans les aliments est accentuée par l'épandage excessif d'engrais azotés et l'utilisation de nitrates en tant qu'additifs alimentaires. Les nitrates étant très solubles dans l'eau, ils sont à l’origine d’une pollution des eaux douces. Selon l'ANSES, environ deux tiers de l’exposition alimentaire aux nitrates provient de la consommation de produits végétaux, en particulier de légumes feuilles, et un quart est associé à l’eau de boisson.

Dans l'organisme, les nitrates ne sont pas toxiques mais peuvent se transformer en nitrites puis en nitrosamines, des molécules cancérigènes dont les impacts négatifs sont nombreux. D'abord, l'augmentation de l'apport alimentaire en nitrates a été associée à l'hypothyroïdie et au cancer de la thyroïde. Une étude a d'ailleurs montré que le risque de cancer de la thyroïde était multiplié par 2,6 pour les personnes qui consomment une eau trop concentrée en nitrates. Ensuite, des taux importants de nitrates ingérés pendant la grossesse peuvent affecter le développement des enfants. Le nourrisson, contrairement à l'adulte, est plus exposé au risque de formation de nitrites en raison de l’immaturité de son système digestif. C'est pourquoi la probabilité de retard de croissance pour les enfants de moins de 5 ans augmente s'ils sont exposés aux nitrates.
Par ailleurs, la présence de toxines induites par les nitrates peut perturber le microbiote intestinal. Pour les adultes, cette perturbation peut être passagère mais, pour les bébés, les premiers mois de vie sont critiques pour établir la composition de la flore bactérienne intestinale. L’exposition aux nitrates pourrait donc handicaper de manière permanente le système digestif des individus et réduire leur capacité à absorber les nutriments tout au long de leur vie. Enfin, dans le sang, la présence de nitrites peut provoquer la formation de "méthémoglobine", une forme d'hémoglobine incapable de transporter l'oxygène.
Engrais azotés : les coûts cachés derrière l'épandage excessif
L’épandage excessif d’engrais azotés est soumis à des conséquences économiques, essentiellement sanitaires. Le coût des impacts sanitaires en Europe est estimé entre 40 et 190 milliards d’euros par an, soit 10 à 30€ par kg d’azote émis. Par exemple, en France, la très grande majorité de l’eau potable provient des eaux souterraines. Lorsque les teneurs en nitrates sont trop élevées, il faut traiter ces eaux pour les rendre potables. Ces traitements représentent un coût très élevé pour le producteur mais également pour tous les consommateurs qui les paient sur leurs factures. De même, les marées d’algues vertes causées par le ruissellement des nitrates agricoles sont elles-aussi coûteuses. Au-delà des frais de ramassage, les marées vertes peuvent être dissuasives pour le tourisme, mais également nuire aux activités de pêche et d’aquaculture.
Ainsi, plusieurs stratégies sont appliquées pour atténuer l'impact néfaste des nitrates, l'utilisation de fumier organique, de compost ou encore d'engrais à libération lente. L'amélioration de l'assimilation de l'azote par les cultures est également une solution potentielle pour réduire l'utilisation excessive d'engrais chimiques.
Réduire la consommation excessive d'azote par l'agriculture permettrait de réduire les coûts pour les agriculteurs, mais aussi pour la collectivité.
Références :
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