Engrais azotés et santé publique : des liens complexes

G. Demarquest , I. aouriri • July 7, 2023

Au cours des dernières décennies, l'augmentation exponentielle de la population a fait explosé les besoins alimentaires mondiaux. C’est en partie l’application massive d’engrais azotés de synthèse qui a permis de soutenir cette dynamique. Ainsi, depuis 1960, la consommation de ces engrais a été multipliée par neuf dans le monde. Plusieurs facteurs en sont à l'origine. D'abord, les agriculteurs ont tendance à sur-fertiliser leurs parcelles pour éviter la carence des plantes et maximiser le rendement. Ensuite, des variétés de plantes de plus en plus productives ont été soigneusement sélectionnées par des efforts de recherche est de développement considérables. Cependant, pour atteindre les rendements attendus, ces nouvelles variétés requièrent des quantités d'engrais toujours plus importantes, et c'est bien l'application intensive de ces engrais qui s'est révélée être à l’origine de nombreux problèmes de santé publique.

Les engrais et les particules fines dans l’air


Chaque année, près de 700.000 tonnes d’ammoniac sont rejetées dans la nature. Combinés aux autres polluants atmosphériques, l'ammoniac et les oxydes d'azote engendrent la formation de particules fines très dangereuses pour la santé. La pollution de l’air affecte le fonctionnement de nos poumons, aggrave certains symptômes chez les personnes asthmatiques et augmente le risque de maladies comme la bronchite ou même le cancer. Selon l'OMS, en 2017, se sont 5 millions de personnes qui sont décédées suite à des maladies liées à la pollution atmosphérique . En France, la pollution de l’air (toute pollution confondue) est responsable d’environ 48.000 décès prématurés par an. En 2021, également, des chercheurs américain ont déterminé que la pollution de l’air directement liée aux émissions d’ammoniac agricole était responsable de 12.400 décès par an.


Les nitrates dans notre alimentation

L'eau ou les aliments que nous ingérons présentent aussi un risque pour la santé. Même si des nitrates sont naturellement présents dans certains légumes et dans les sols, leur concentration dans les aliments est accentuée par l'épandage excessif d'engrais azotés et l'utilisation de nitrates en tant qu'additifs alimentaires. Les nitrates étant très solubles dans l'eau, ils sont à l’origine d’une pollution des eaux douces. Selon l'ANSES, environ deux tiers de l’exposition alimentaire aux nitrates provient de la consommation de produits végétaux, en particulier de légumes feuilles, et un quart est associé à l’eau de boisson.

Dans l'organisme, les nitrates ne sont pas toxiques mais peuvent se transformer en nitrites puis en nitrosamines, des molécules cancérigènes dont les impacts négatifs sont nombreux. D'abord, l'augmentation de l'apport alimentaire en nitrates a été associée à l'hypothyroïdie et au cancer de la thyroïde. Une étude a d'ailleurs montré que le risque de cancer de la thyroïde était multiplié par 2,6 pour les personnes qui consomment une eau trop concentrée en nitrates. Ensuite, des taux importants de nitrates ingérés pendant la grossesse peuvent affecter le développement des enfants. Le nourrisson, contrairement à l'adulte, est plus exposé au risque de formation de nitrites en raison de l’immaturité de son système digestif. C'est pourquoi la probabilité de retard de croissance pour les enfants de moins de 5 ans augmente s'ils sont exposés aux nitrates.

Par ailleurs, la présence de toxines induites par les nitrates peut perturber le microbiote intestinal. Pour les adultes, cette perturbation peut être passagère mais, pour les bébés, les premiers mois de vie sont critiques pour établir la composition de la flore bactérienne intestinale. L’exposition aux nitrates pourrait donc handicaper de manière permanente le système digestif des individus et réduire leur capacité à absorber les nutriments tout au long de leur vie. Enfin, dans le sang, la présence de nitrites peut provoquer la formation de "méthémoglobine", une forme d'hémoglobine incapable de transporter l'oxygène.


Engrais azotés : les coûts cachés derrière l'épandage excessif


L’épandage excessif d’engrais azotés est soumis à des conséquences économiques, essentiellement sanitaires. Le coût des impacts sanitaires en Europe est estimé entre 40 et 190 milliards d’euros par an, soit 10 à 30€ par kg d’azote émis. Par exemple, en France, la très grande majorité de l’eau potable provient des eaux souterraines. Lorsque les teneurs en nitrates sont trop élevées, il faut traiter ces eaux pour les rendre potables. Ces traitements représentent un coût très élevé pour le producteur mais également pour tous les consommateurs qui les paient sur leurs factures. De même, les marées d’algues vertes causées par le ruissellement des nitrates agricoles sont elles-aussi coûteuses. Au-delà des frais de ramassage, les marées vertes peuvent être dissuasives pour le tourisme, mais également nuire aux activités de pêche et d’aquaculture.


Ainsi, plusieurs stratégies sont appliquées pour atténuer l'impact néfaste des nitrates, l'utilisation de fumier organique, de compost ou encore d'engrais à libération lente. L'amélioration de l'assimilation de l'azote par les cultures est également une solution potentielle pour réduire l'utilisation excessive d'engrais chimiques.

Réduire la consommation excessive d'azote par l'agriculture permettrait de réduire les coûts pour les agriculteurs, mais aussi pour la collectivité.

Références :

By G. Demarquest , I. aouriri March 26, 2024
Les agriculteurs sont de plus en plus nombreux à se convertir à l’agriculture biologique. Le ministère de l’Agriculture dénombre 60 000 fermes engagées en bio en 2022, soit 14,2% des fermes françaises. Cela représente une surface totale de 2,88 millions d'hectares, faisant de la France la première surface bio en Europe. Cette même dynamique est observée dans toute l’Europe et suit l’intérêt croissant des consommateurs pour les produits biologiques et le respect de l'environnement. Ainsi, la Commission européenne a mis en place la stratégie "De la ferme à la fourchette", visant à atteindre 1/4 des terres agricoles cultivées en agriculture biologique pour 2030. Mais, entre les réglementations européennes, le cahier des charges français et les nombreuses évolutions des règlements, il peut être difficile de s’y retrouver. De nombreuses questions émergent chez les agriculteurs souhaitant se convertir au bio, notamment la question de la qualité et la composition des sols nécessaires pour passer au bio.
By G. Demarquest , I. aouriri March 26, 2024
Parmi les facteurs naturels qui déterminent la richesse d'un sol, la teneur en humus figure parmi les premiers de la liste. L’humus, qui constitue la couche supérieure du sol, se forme grâce à la décomposition de matière organique fraîche (d'origine végétale ou animale) en matière organique stable via un processus particulier appelé humification. Dès la préhistoire, les agriculteurs ont reconnu l'importance d'apporter régulièrement de la matière organique au sol. Cependant, il a fallu du temps pour comprendre pleinement son impact sur les sols et les cultures. Depuis, de nombreuses études ont contribué à approfondir notre compréhension de ce processus essentiel pour l'agriculture, l'humus représentant 80% du total de la matière organique dans un sol.
By N. Violeau, I. Aouriri March 20, 2024
Au beau milieu du réchauffement climatique, comment se profile l’avenir géopolitique et économique de la Russie et de l’Europe ? Perspectives sur la souveraineté alimentaire, sur les politiques adoptées ainsi que sur les alternatives pour un possible déclin de l’ultra-dépendance européenne au gaz russe, élément indispensable à la fabrication des engrais azotés.
By N. Violeau, I. Aouriri March 20, 2024
En matière de protection de la qualité des eaux, la lutte contre la pollution diffuse par les nitrates est un enjeu important. Avec la publication début 2023 du septième programme d’actions national “nitrates”, le raisonnement de la fertilisation azotée à l’échelle de l’exploitation agricole est, plus que jamais, un sujet d’actualité.
By N.Violeau, Idriss Aouriri March 8, 2024
Le biochar, ce nouvel or noir pour le climat, témoigne des nombreux efforts déployés par le Costa Rica pour réduire l’impact environnemental de ses plantations d’ananas. Il pourrait bien permettre de relever les défis mondiaux liés à la production alimentaire et au changement climatique.
By N. Violeau, I. Aouriri September 22, 2023
Engrais azotés, gaz naturel, instabilité géopolitique, pénuries et volatilité des prix : la guerre en Ukraine nous a cruellement rappelé qu’en matière d’engrais, l’Europe peut difficilement échapper à la domination de la Russie.
By G. Demarquest , I. aouriri September 22, 2023
Dans les années 1960, les pays en développement ont adopté une politique de réforme agricole visant à remédier aux pénuries alimentaires. Connue sous le nom de révolution verte, cette initiative avait pour objectif d'améliorer les pratiques agricoles afin d'accroître la productivité. Une des mesures phares était fondée sur l'utilisation intensive d'engrais azotés de synthèse. En effet, l'avènement quelques années plus tôt du procédé Haber-Bosch - qui synthétise de l'ammoniac à partir d'azote atmosphérique et de gaz naturel - a permis une certaine indépendance de l'agriculture vis à vis des amendements organiques . Dès lors, les engrais minéraux sont devenus la principale source de fertilité, parfois même la seule, ce qui a considérablement contribué à l'augmentation des rendements. Cependant, ces engrais azotés de synthèse suscite l'inquiétude des agriculteurs comme les états, tant sur le plan environnemental que géopolitique. Le président de l’Organisation Mondiale des Agriculteurs, Theo De Jager, déclarait d’ailleurs en mai 2022 sur la question de la disponibilité des engrais que "nous sommes déjà au milieu d’une crise alimentaire dont il faut désormais évaluer l’ampleur et la gravité" . L’approvisionnement en engrais azotés joue donc un rôle majeur dans la sécurité alimentaire mondiale et implique des enjeux géopolitiques forts.
By G. Demarquest , I. aouriri September 22, 2023
L'azote est présent dans la nature sous plusieurs formes : gazeuse, minérale et organique. Les sols fertiles contiennent beaucoup d'azote sous forme organique, plus qu'il n'en faut pour la nutrition des cultures. Cependant, cet azote n'est pas immédiatement disponible pour les plantes, il doit d'abord être transformé en azote minéral pour devenir un nutriment. C'est grâce à des processus biologiques que des micro-organismes transforment l’azote organique en azote minéral assimilable par les cultures. Ainsi, dans le sol l'azote subit de nombreuses transformations, passant d'une forme à une autre à mesure que les organismes l'utilisent.
By G. Demarquest , I. aouriri September 21, 2023
De février à avril, en France, les agriculteurs épandent sur leurs parcelles des engrais azotés minéraux pour favoriser la croissance de leurs cultures. Sur les 2,2 millions de tonnes d’azote utilisées en France, seule la moitié sert véritablement aux plantes, tandis que l’autre moitié se perd dans l’environnement. Cette quantité non-assimilée témoigne de l'utilisation excessive d'engrais azotés et a montré ses impacts négatifs sur le sol, l'air et les écosystèmes aquatiques.
Ngenesis engrais azotés
By Idriss Aouriri August 23, 2023
Aussi loin que nous remontons dans l’histoire de l’agriculture nous comprenons que le monde paysan a toujours parfaitement fait le lien entre l’apport de déjections animales dans les parcelles et l’amélioration des récoltes. Par la simple observation empirique, les premiers agriculteurs ont bien vu que la présence de déjections rendait l’herbe plus verte. Que ce soit le fumier, le lisier ou le guano, tous ces fertilisants traditionnellement utilisés sont constitués de matière organique transformée ou digérée par des animaux sauvages ou d’élevage. Mais c’est seulement en 1848 que le chimiste allemand Justus Von Liebig comprend le rôle prépondérant de l’azote dans l’alimentation des plantes, cet azote qui constitue 79% de l’atmosphère mais qui n’est assimilable par les plantes que sous forme minérale dans le sol. Et c’est bien la minéralisation des déjections animales et des résidus végétaux, qui fournit l’azote nécessaire à la croissance des plantes. C’est cette découverte du rôle prépondérant de l’azote dans le rendement des végétaux qui allait conduire, plusieurs décennies plus tard, à ce que beaucoup considèrent comme la plus grande innovation agroindustrielle du XXe siècle.
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